INTERVIEWS WITH PRACTITIONERS
#1 DANCE AND AGENCY
Mélanie Demers
Comment décrivez-vous les rôles et responsabilités de chacun (performeur, dramaturge, chorégraphe) lors de vos processus de création? Comment ces rôles influencent-ils la création finale?
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M: Si on considère la création comme la métaphore d’un tremblement de terre. Je dirais que le chorégraphe est le foyer du séisme (celui par qui tout arrive), le performeur est l’épicentre (celui qui rend visible le séisme) et le dramaturge est le sismographe (celui qui évalue, mesure, explique la magnitude du séisme). Et peut-être que le spectateur est la faille, celui qui reçoit le choc et qui rend les dommages perceptibles.
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Selon vous quel est l’investissement subjectif des performeurs dans vos créations?
M: L’instinct. Comme je travaille beaucoup sur l’esprit performatif en répétition, j’aime convier l’instinct du performeur, trouver des chemins avant de les justifier ou de les expliquer. Je parle souvent du ICI et MAINTENANT ou JAMAIS dans l’engagement du performeur. Et j’aime la capacité de l’interprète à jouer avec la matière en n’ayant pas toutes les clés ou les morceaux du puzzle. De cette manière, nous avons parfois accès à des zones inédites, hors des sentiers défrichés, surprenant la personne elle-même qui incarne ces intuitions.
J’invoque aussi la capacité de l’interprète à jongler avec un regard éditorial tout en étant capable de dire oui aux demandes extérieures.
Quels aspects de la subjectivité d’un performeur invitez-vous à affecter le travail?
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M: Le fait de connaître l’œuvre depuis ses entrailles, de l’intérieur. Ce regard est unique et les connaissances qui viennent avec sont irremplaçables. Le performeur a une connaissance intime de l’œuvre. Le créateur a une connaissance « extime » de l’œuvre, depuis l’extérieur.
Quels aspects de sa personne considérez-vous au démarrage d’une création avec un performeur? En quoi votre subjectivité rencontre-t-elle celle du performeur?
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M: La création d’une distribution est un acte délicat. Qui rendra visibles les intuitions, les intentions et les préoccupations aura certainement un impact sur la réception de l’œuvre. Qui est le porteur, le passeur, l’incarnation de la pensée et du geste? Je dis souvent que j’aime les moutons noirs. Ceux qui ne sont pas des évidences. Ceux pour qui le chemin pour y arriver n’est pas nécessairement aisément pavé. Ceux là ont souvent développé des outils de survie qui servent mon travail. L’envie de plaire ou de bien faire ou de remplir un cahier des charges n’est souvent pas suffisant pour que ça traduise un état performatif qui vibre à haute fréquence. Une grande part de ce qui fait des étincelles provient de la désobéissance, de la rébellion, de la fougue, de la personnalité du performeur qui rencontre les désirs du créateur. Le fantasme (ce qui n’est pas encore formulé chez le créateur) s’incarne et s’impose chez l’interprète. Là réside toute la subjectivité, désirer, aimer, souhaiter devenir l’être qui incarne nos fantasmes.
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Pouvez-vous identifier quelques caractéristiques personnelles (sexe, âge, type de corps, origine, histoire personnelle, etc.) qui selon vous ont/ont déjà eu une influence sur votre travail avec un performeur?
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M: J’ai l’habitude de « succionner » la matière directement de l’interprète. Alors toute sa carte identitaire est mise à contribution, que ce soit d’un point de vue narratif ou d’un point de vue plus impressionniste. Mes propres biais sont alors en dialogue avec ce que je tente de révéler, mettre en lumière ou enfouir.
Qu’est-ce que vous entendez par le terme « une dramaturgie individuelle »?
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M: J’y oppose le terme mythologie personnelle, ce qui constitue l’ensemble de la cartographie identitaire, historique, émotive, familiale, sociale d’une personne. La mythologie personnelle c’est ce qu’on transporte comme fardeau. C’est ce qui nous distingue, nous rend unique autant que ce qui nous allie aux destinées des autres. C’est peut-être la porte d’entrée d’un universalisme qui ne serait pas oppressif.
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Y a-t-il autre chose que vous aimeriez que nous abordions ?
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Tant d’autres choses. Mais à la lumière de ce que je connais de mon travail, je dirais que je réalise à quel point la liberté que j’impose au performeur est parfois perçue comme une prison. Comment devenir souverain en ayant autant de liberté et autant d’exigences de communion (avec les partenaires, avec le public, avec la musique, avec les accessoires et ultimement avec soi-même).
#2 Dance and Agency
Ann-Marie Jourdenais
Comment décrivez-vous les rôles et responsabilité de chacun (performeur, dramaturge, chorégraphe) lors de vos processus de création? Comment ces rôles influencent-ils la création finale?
Performeur : C'est la personne qui reçoit les idées, les propositions et qui a le mandat de les faire exister, de leur donner corps et vie. C'est la matière première, malléable, vivante, coopérative ou récalcitrante avec laquelle le chorégraphe devra composer pour créer son œuvre.
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Dramaturge : C'est la personne qui joue le rôle de catalyseur. Celle qui, par ses questions, ses observations, ses commentaires, permet aux idées qui sont en train de prendre forme soit de se cristalliser soit de se diluer. C'est la personne qui a le recul nécessaire pour voir émerger des images, des liens, des sens non prévus, souhaités, perçus par le chorégraphe. C'est un interlocuteur privilégié pour le créateur, c'est un de ses premiers spectateurs.
Chorégraphe : C'est la personne qui souhaite l'existence de l'oeuvre qui s'apprête à voir le jour. C'est celle qui balbutie le premier mot et celle qui aura toujours le dernier mot. C'est la personne par laquelle les choses arrivent. Elle a la responsabilité de générer des idées, des propositions, des mouvements, de donner l'élan.
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Chacune de ces personnes aura une influence très spécifique et très forte sur l'oeuvre en gestation. Le chorégraphe, de façon évidente, parce qu'il est celui qui l'invite et l'invente. Les performeurs en l'incarnant, en l'habitant vont, inévitablement altérer, transformer les idées qui leur sont confiées. Et le dramaturge, par le recul qu'il a et que les autres n'ont pas, viendra lui aussi changer le cours de la création à sa façon.
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Selon vous quel est l'investissement subjectif des performeurs dans vos créations?
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L'investissement subjectif des performeurs dans le travail de Mélanie Demers est énorme. Comme une grande partie du processus de création consiste à improviser à partir d'idées, d'images, de sensations, de thèmes proposés par Mélanie, tout le bagage personnel des performeurs est inévitablement interpellé, mobilisé. C'est la rencontre avec chacun d'eux, avec leur sensibilité particulière, leur histoire unique, leurs préoccupations et leurs priorités qui nourrit Mélanie et l'aide à trouver son chemin. Ce processus demande une immense générosité, une puissante ouverture de la part des performeurs, un abandon à ce qu'ils sont autant qu'à la vision de Mélanie.
Quels aspects de la subjectivité d'un performeur invitez-vous à affecter le travail?
Dans le travail de Mélanie, les performeurs sont régulièrement invités à exister comme « êtres humains » plus que comme « danseurs ». Il sont exposés à une envie puissante de voir transparaître leur intimité, leur façon d'être à travers les mouvements et les idées qui leur sont proposées. La curiosité envers l'individualité de chacun, ce qu'il porte, ce qui le porte, ce qui l'inspire est constamment à l'avant plan.
Ensuite, force est de constater que certaines sensibilités sont plus proches de celle de Mélanie et, qu'au niveau artistique, certaines alliances se tissent plus facilement. Ceci dit, lorsque la sensibilité, lapersonnalité d'un performeur est plus distincte de celle de Mélanie émergent souvent des idées, des élans qui ne lui seraient jamais venus spontanément.
La rencontre avec les interprètes est un puissant moteur d'inspiration pour elle. Elle la laisse l'inspirer, la déstabiliser, la dévier avant de choisir à nouveau dans quelles directions elle souhaite se diriger et investiguer pour créer.
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Quels aspects de sa personne considérez-vous au démarrage d'une création avec un performeur? En quoi votre subjectivité rencontre-t-elle celle du performeur?
Mélanie prend énormément de temps pour choisir les gens avec qui elle a envie de travailler avant de commencer un nouveau projet. Elle laisse mijoter ses élans, ses instincts, ses attirances pendant des mois. Elle a coutume de dire qu'une fois que les performeurs sont choisis, 50% du travail de création est fait. C'est dire l'influence de ce qu'ils ont sur le travail!
Elle n'analyse pas de façon rationnelle ce qui l'attire chez quelqu'un, c'est très instinctif. Ça englobe l'ensemble de la personne. C'est un peu comme tomber en amour... C'est l'assemblage hétéroclite d'une multitude de grandes et de petits choses qui donne une couleur particulière à chacun. Et certains de ces assemblages nous attirent plus que d'autres, résonnent avec le nôtre mieux que d'autres, nous donnent envie de nous approcher ou de nous éloigner.
Évidemment entrent en ligne de compte : le sexe, l'âge, le type de corps, l'origine, l'histoire personnelle, l'histoire commune avec les collègues... Ça fait partie de l'assemblage, mais aucune de ces caractéristiques n'est, à elle seule, déterminante.
Seul ligne directrice à travers les années, Mélanie dit préférer de loin les « cheval sauvage » aux «chevaux apprivoisés ». Elle aime rencontrer des êtres toujours curieux, parfois indociles et profondément malléables qui savent embrasser une proposition avec passion autant que la dénaturer, l'amener plus loin, la réinventer.
Pouvez-vous identifier quelques caractéristiques personnelles (sexe, âge, type de corps, origine, histoire personnelle, etc.) qui, selon vous ont déjà eu une influence sur votre travail avec un performeur?
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Dans le travail de Mélanie, tout a une influence. La matière est constamment portée, inventée, transformée par l'être qui lui donne vit. Ainsi le sexe, l'âge, la taille, le type de corps, l'origine, l'éducation, l'histoire personnelle, l'histoire commune avec les collègues sont incontournables. Leur influence sur le travail est palpable au jour le jour.
Le sexe, le type de corps, l'éducation, l'histoire personnelle inscrivent un rapport à l'autre et au monde spécifique. Qui n'est pas immuable, mais qui détermine beaucoup de choix, artistiques et humains, plus ou moins consciemment.
L'âge influence la disponibilité, la dextérité du corps autant que de l'esprit. Un performeur en début de carrière n'a pas nécessairement développés, entraînés, réveillés toutes ces capacités. Mais l'enthousiasme et la curiosité pallient souvent à ces lacunes. Un performeur en fin de carrière n'a plus nécessairement la même vivacité. Mais l'expérience et la confiance sont irremplaçables.
L'histoire commune entre les gens de l'équipe teinte aussi énormément ce qui émerge en cours de processus. Les élans d'inspiration émergent parfois entre des alliés de longue date, parfois lors de nouvelles rencontres fulgurantes. L'histoire commune se révèle parfois un fardeau, parfois un tremplin.
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Qu'est-ce que vous entendez par le terme « une dramaturgie individuelle »?
L'assemblage hétéroclite des expériences d'une personne qui ont fait qu'elle est devenue unique, spécifique, inimitable. Ce que cette personne amène avec elle et qui influence, une création, une relation, une situation... Ses questions, ses priorités, ses intuitions, ses limites, son apparence, ses peurs, ses espoirs, son histoire... Le tout plus ou moins conscients. Le tout pouvant être mis en valeur ou occulter selon les situations, mais à mon avis, jamais complètement occulté.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez que nous abordions?
Je tiens à préciser que j'ai principalement répondu en lien avec les processus de création de Mélanie Demers. Avec d'autres chorégraphes, j'ai vu toutes sortes de manières d’interpeller ou pas, d'intégrer ou pas, la dramaturgie personnelle des performeurs. Mais, dans mon expérience, même ceux qui ont cherché à l'effacer le plus possible n'y sont jamais vraiment arrivé...
#3 Dance and Agency
Tarek Rammo
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