Questionnaire to Mélanie Demers
At the beginning of 2020, before moving online, we gave a questionnaire about agency in choreographic processes to choreographer Melanie Demers and her rehearsal director Ann-Marie. The two of them were just starting to work with our P.I. Angélique Willkie on a new performance, Confessions Publiques. A year and a pandemic later, we look back to these questionnaires and the knowledge they volunteered.
Comment décrivez-vous les rôles et responsabilités de chacun (performeur, dramaturge, chorégraphe) lors de vos processus de création? Comment ces rôles influencent-ils la création finale?
M: Si on considère la création comme la métaphore d’un tremblement de terre. Je dirais que le chorégraphe est le foyer du séisme (celui par qui tout arrive), le performeur est l’épicentre (celui qui rend visible le séisme) et le dramaturge est le sismographe (celui qui évalue, mesure, explique la magnitude du séisme). Et peut-être que le spectateur est la faille, celui qui reçoit le choc et qui rend les dommages perceptibles.
Selon vous quel est l’investissement subjectif des performeurs dans vos créations?
M: L’instinct. Comme je travaille beaucoup sur l’esprit performatif en répétition, j’aime convier l’instinct du performeur, trouver des chemins avant de les justifier ou de les expliquer. Je parle souvent du ICI et MAINTENANT ou JAMAIS dans l’engagement du performeur. Et j’aime la capacité de l’interprète à jouer avec la matière en n’ayant pas toutes les clés ou les morceaux du puzzle. De cette manière, nous avons parfois accès à des zones inédites, hors des sentiers défrichés, surprenant la personne elle-même qui incarne ces intuitions.
J’invoque aussi la capacité de l’interprète à jongler avec un regard éditorial tout en étant capable de dire oui aux demandes extérieures.
Quels aspects de la subjectivité d’un performeur invitez-vous à affecter le travail?
M: Le fait de connaître l’œuvre depuis ses entrailles, de l’intérieur. Ce regard est unique et les connaissances qui viennent avec sont irremplaçables. Le performeur a une connaissance intime de l’œuvre. Le créateur a une connaissance « extime » de l’œuvre, depuis l’extérieur.
Quels aspects de sa personne considérez-vous au démarrage d’une création avec un performeur? En quoi votre subjectivité rencontre-t-elle celle du performeur?
M: La création d’une distribution est un acte délicat. Qui rendra visibles les intuitions, les intentions et les préoccupations aura certainement un impact sur la réception de l’œuvre. Qui est le porteur, le passeur, l’incarnation de la pensée et du geste? Je dis souvent que j’aime les moutons noirs. Ceux qui ne sont pas des évidences. Ceux pour qui le chemin pour y arriver n’est pas nécessairement aisément pavé. Ceux là ont souvent développé des outils de survie qui servent mon travail. L’envie de plaire ou de bien faire ou de remplir un cahier des charges n’est souvent pas suffisant pour que ça traduise un état performatif qui vibre à haute fréquence. Une grande part de ce qui fait des étincelles provient de la désobéissance, de la rébellion, de la fougue, de la personnalité du performeur qui rencontre les désirs du créateur. Le fantasme (ce qui n’est pas encore formulé chez le créateur) s’incarne et s’impose chez l’interprète. Là réside toute la subjectivité, désirer, aimer, souhaiter devenir l’être qui incarne nos fantasmes.
Pouvez-vous identifier quelques caractéristiques personnelles (sexe, âge, type de corps, origine, histoire personnelle, etc.) qui selon vous ont/ont déjà eu une influence sur votre travail avec un performeur?
M: J’ai l’habitude de « succionner » la matière directement de l’interprète. Alors toute sa carte identitaire est mise à contribution, que ce soit d’un point de vue narratif ou d’un point de vue plus impressionniste. Mes propres biais sont alors en dialogue avec ce que je tente de révéler, mettre en lumière ou enfouir.
Qu’est-ce que vous entendez par le terme « une dramaturgie individuelle »?
M: J’y oppose le terme mythologie personnelle, ce qui constitue l’ensemble de la cartographie identitaire, historique, émotive, familiale, sociale d’une personne. La mythologie personnelle c’est ce qu’on transporte comme fardeau. C’est ce qui nous distingue, nous rend unique autant que ce qui nous allie aux destinées des autres. C’est peut-être la porte d’entrée d’un universalisme qui ne serait pas oppressif.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez que nous abordions ?
Tant d’autres choses. Mais à la lumière de ce que je connais de mon travail, je dirais que je réalise à quel point la liberté que j’impose au performeur est parfois perçue comme une prison. Comment devenir souverain en ayant autant de liberté et autant d’exigences de communion (avec les partenaires, avec le public, avec la musique, avec les accessoires et ultimement avec soi-même).
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